Ecrit par Eliot Ruffel

11 heures. Inès Berdugo apparaît sur le pas de la porte. D’un haussement d’épaule, elle colle son téléphone à son oreille. Dans sa main gauche, son sac en passe de s’ouvrir. Elle salue au loin, fait signe qu’elle est au téléphone, raccroche catastrophée puis s’excuse de son retard.
Mon thé salé par tes larmes.
Elle s’assoit, reprend son souffle puis prévient qu’elle n’a rien préparé, qu’elle ne sait pas à quoi s’attendre. Petit à petit, elle se met à parler de sa vie et lentement aborde son livre. Elle raconte qu’il y a trois ans, pendant une discussion, elle voit défiler dans sa tête cinq ou six mecs qui ont partagé la vie de sa mère. Sur le ton de la plaisanterie, elle suggère à cette dernière d’écrire un catalogue sur ses relations.
Puis, lentement, l’idée habite l’esprit d’Inès qui demande à sa mère l’autorisation de s’approprier son histoire. « J’ai essayé en vidéo, il y a 2 ou 3 ans et ça ne fonctionnait pas ». Inès utilise à cette époque le médium filmique. Elle fait appel à des schémas narratifs empruntés à ceux du cinéma.
Il y a un an et demi, Inès se remet au travail avec une sensation d’inachevé et se met à penser à une forme pour l’histoire de sa mère. L’écriture s’impose alors comme une évidence, adaptée aussi bien à la teneur du projet qu’à son aspect intimiste. « Je ne pouvais pas imaginer une autre forme, je voulais un rapport 1/1. Je voulais que le lecteur se retrouve seul face à l’histoire d’Anita ». Elle collecte, mélange, efface, imbrique et compile les différents souvenirs qu’elle a de la vie de sa mère. « Il y a de vrais éléments, des messages, des textos, mais il y a aussi de la fiction ». Inès avoue avoir plus de facilité à écrire à partir du réel ; « pour le cinéma pareil, ce qui me touche, c’est quand je peux ressentir l’humain ».
À travers un récit puzzle qui constitue Mon thé salé par tes larmes, Inès dresse en creux le portrait de sa mère Anita à travers les hommes qu’elle a connus. Le récit prend forme avec des mots, des dessins, mais également de la musique. Les chapitres deviennent une playlist musicale où se croisent Michel Polnareff, Etienne Daho ou encore Urge Overkill. Les hommes du récit prennent vie en couleur grâce aux traits de Lou Cohen.



Si c'est pas toi ce sera un autre ou si c'est pas toi ce sera une autre - Lou Cohen
« Je voulais des personnages un peu grotesques, presque naïfs ». Le dessin s’est imposé très vite dans la construction du livre pour sa cohérence avec le personnage d’Anita. Les souvenirs de lectures d'Inès sont jonchés d’images et « un livre avec des images me semblait plus vivant, plus à propos ». Finalement, tout entre en résonance, le son comme les images aussi bien visuelles que sensorielles. « C’est ce que je voulais avec le titre ». Un titre et une image, celle d’un homme refroidissant le thé d’Anita avec ses larmes, suffisent à donner la teneur du récit. Peu après avoir choisi l’intitulé de son ouvrage, Inès tombe sur la vidéo Desire Management (2005) de l’artiste américain Noam Toram. « Sa vidéo était exactement ce que j’avais en tête. »
« J’ai fait lire le livre à ma mère. Elle adore être une muse, mais n'est pas fière pour autant de ce qui est écrit ». Mon thé salé par tes larmes a eu comme vertu de libérer la parole, de se sentir libre d’aborder ses propres histoires, aussi bien celles d’Anita, d’Inès et de bien d’autres. Son ouvrage se veut comme un point d’entrée vers une plume plus « actuelle », « plus proche de ma génération ».
Son dernier court-métrage peut être visionné ici : https://www.inesberdugo.com/cestpasdouloureuxdere-naitre